Historique
Histoire du réseau Internet

Peut-on parler pour Internet, technologie vieille de 30 ans, d'une innovation récente ? Il faut dire qu'Internet, inventé dans les années 60, ne fait partie de notre vie quotidienne que depuis une petite moitié de décennie. Comment expliquer qu'une invention décrite comme majeure ne se soit pas imposée plus tôt ? C'est ce que nous tenterons de comprendre à travers cet historique.

L'Internet est aujourd'hui le plus gros réseau informatique mondial. Un réseau est un ensemble de matériels informatiques interconnectés. Des noeuds et des liens forment sa structure. Les noeuds sont des serveurs ou des ordinateurs clients. Les liens sont des lignes téléphoniques, des câbles, de la fibre optique ou des connexions par satellite.

Nous allons montrer ici que l'Internet, sous des formes diverses correspondant aux différents états de son développement, a été l'illustration des avancées technologiques des 30 dernières années, depuis l'invention du microprocesseur jusqu'aux réseaux en passant par les satellites ou l'informatique domestique.

La naissance : de l'armée américaine aux universitaires

On peut dater de 1968 la naissance du premier réseau informatique, connectant plusieurs ordinateurs. C'est cette année là que les National Physical Laboratories, en Grande-Bretagne, mettent en place le premier réseau à commutation de paquets, technologie fondée sur le découpage en paquets de l'information numérisée, afin de la faire mieux circuler. L'idée du réseau à paquets est la suivante : au départ, un message est divisé en blocs transmis aléatoirement à travers les branches du réseau. A l'arrivée, l'utilisateur destinataire rassemble ces blocs et reconstitue le message, indépendamment du chemin que celui-ci a suivi pour arriver à bon port.

C'est aux Etats-Unis que l'idée d'un réseau mondial utilisant la technique de la commutation de paquets va être intensément développée. En 1957, le Ministère de la Défense américain crée l'Agence ARPA (Advanced Research Project Agency) dont l'objectif est de renforcer les développements scientifiques susceptibles d'être utilisés à des fins militaires. Mais d'autres raisons motivent ces recherches. Une légende polémique attribue la paternité de l'Internet aux militaires. Les Etats-Unis auraient voulu réagir au lancement du premier Spoutnik par les Soviétiques. L'objectif des Américains aurait alors été de ne jamais plus être dépassés par l'URSS sur le terrain des télécommunications. En cette période de Guerre Froide, les systèmes de télécommunication existants sont fondés sur la technologie des réseaux téléphoniques, centralisés. Une attaque nucléaire sur les points centraux névralgiques, rendrait l'utilisation du réseau impossible. Les chercheurs américains ont par conséquent la mission de proposer à l'armée un moyen de mettre en place un réseau de communication militaire capable de résister aux attaques nucléaires.

C'est en 1969 que des chercheurs parviennent à relier entre eux quatre des ordinateurs de UCLA (University of California in Los Angeles). L'Arpanet est né. Ce réseau est fondé sur une structure de réseau maillé, chaque noeud du réseau étant relié aux autres, sans qu'aucun centre ne concentre l'information. La communication entre les différents noeuds est assurée par la commutation de paquets, ce qui garantit le bon fonctionnement du réseau, même si l'un des nœuds vient à défaillir. L'idée de réseau maillé provient de l'Américain Paul Baran, qui, à la demande de l'US Air Force, souhaitant améliorer les systèmes de communication militaire, propose alors le principe de réseau décentralisé à structure maillée. Même en cas de destruction partielle du réseau, celui-ci fonctionne toujours car il n'existe pas de point central par lequel les messages sont obligés de transiter. L'idée de décentralisation est clairement à la base du premier réseau mondial. Elle l'est encore pour Internet.

En 1972, l'idée du réseau s'est bien répandue dans les milieux universitaires américains et internationaux. C'est alors qu'a lieu à Washington la première conférence internationales sur les communications informatiques. Une démonstration d'Arpanet est organisée devant de nombreux spécialistes venus du monde entier. C'est à partir de ce moment que vont commencer des discussions entre plusieurs pays qui travaillent sur des projets de réseaux à commutation de paquets. Dès 1973, des pays comme la France ou la Grande-Bretagne travaillent à l'élaboration de leur propre réseau informatique. Tous ressentent alors le besoin de créer un protocole de communication commun à tous ces réseaux. En 1974 est alors créé l'InterNetwork Working Group, chargé d'élaborer ce protocole commun. Dans ce groupe se trouvent deux chercheurs de l'UCLA, Vinton Cerf et Robert Kahn, qui vont élaborer un protocole spécifique aux communications inter-réseaux (en anglais INTER-NETwork) que tous les ordinateurs comprendraient. Ce protocole, langage commun à tous les réseaux, toujours utilisé aujourd'hui, se nomme TCP-IP (Transmission Control Protocol, Internet Protocol). L'Internet est né.

Il est à ce titre intéressant de voir comme, dès sa création, le réseau Internet ne peut être limité à une simple invention technologique. Son inscription idéologique dans l'Histoire montre à quel point sa dimension politique est importante. Au delà de son statut de media mondial, Internet incarne la vision d'un système, qui bien au-delà de la technologie, concerne la politique, l'économie et l'organisation de la société. L'idée d'un réseau décentralisé, sans hiérarchie, reprend l'idéologie libérale américaine. Tant pis si dépassant une taille critique, le système est soumis à une forme d'anarchie, les éléments qui le composent finiront nécessairement par le réguler. A l'époque, cette vision est directement opposable à l'idéologie soviétique de centralisme démocratique, dans laquelle le pouvoir est concentré. Toute diffusion d'information est soumise à ce pouvoir.

L'influence des milieux universitaires de la fin des années 60 et des années 70, marquera les premiers pas libertaires de l'utilisation du Web en tant que media. Nous reviendrons au cours de ce mémoire sur l'importance des implications politique et sociale de l'Internet.

De l'Internet au World Wide Web

Durant les années 80, l'usage de l'Internet se limite principalement à l'échange de courriers électroniques et de fichiers entre les universités du monde entier, se ralliant progressivement au réseau mondial au fur et à mesure de la constitution des réseaux locaux nationaux. Ce n'est qu'en 1989 que l'Internet va commencer à conquérir le grand public, grâce à la création du World Wide Web (WWW) par Tim Berners-Lee, un physicien britannique. Il travaille au début des années 80 sur plusieurs projets de logiciels pour le CERN, et c'est en 1989 qu'il crée le WWW. L'idée du Web est née du besoin de trouver un nouveau système pour gérer les multiples documents édités par le CERN, ces documents comportant beaucoup de graphiques, équations et autres dessins techniques. Le défi est de trouver un système capable d'associer ces différentes données malgré leur disparité. Le Web est donc par nature multimedia, puisqu'il permet très tôt d'associer des contenus sous forme de texte, d'image et de son.

On veut aussi que tous ces documents soient accessibles en tous temps et en tous lieux, pour répondre au besoin des chercheurs de partager leurs informations et documents où qu'ils soient. A l'époque le CERN travaille à la construction d'un gigantesque accélérateur de particules, le LEP (Large Electron-Positron collider). Ce projet nécessite une étroite collaboration internationale entre tous les protagonistes.

Tim Berners-Lee invente et rassemble trois éléments fondamentaux qui forment le World Wide Web : tout d'abord le protocole d'hypertexte, Hypertext Transfer Protocol, représenté aujourd'hui par le symbole HTTP. C'est un standard qui permet aux ordinateurs de lier les documents entre eux. Il crée aussi un standard pour trouver un document en tapant simplement une adresse (comme www.lemonde.fr), standard qui s'appelle Uniform Ressource Locator (URL). Enfin il introduit le langage HTML, ou Hypertext Markup Language, qui permet de créer des documents multimedia sur le Web et de les relier grâce à l'hypertexte. Ainsi, Berners-Lee invente une sorte de librairie mondiale fondée sur l'hypertexte qui permet de réunir toutes les connaissances de l'Humanité.

C'est donc à partir de 1989, grâce à la création du World Wide Web, que l'Internet commence à conquérir le grand public.

Une explosion récente, consécutive à la démocratisation informatique

En 1990 naissent les premiers serveurs et les premiers butineurs, logiciels qui permettent de lier et de parcourir les informations sur le Web. Un butineur (ou browser) est un logiciel de navigation (tel Netscape ou Internet Explorer aujourd'hui), un serveur est le site où se trouvent hébergés les documents et les liens. En 1991, Nicole Pellow crée un butineur simple qui peut être transposé sans efforts sur la plupart des systèmes d'exploitation. En 1993, le butineur Mosaic est élaboré au NCSA (Centre National pour les Applications des Super-ordinateurs) aux États-Unis. La grande innovation de ce logiciel est l'affichage des images en couleurs. Très vite, la NCSA va produire des versions de ce logiciel pour les Macintosh et les PC, ouvrant la porte du Web et de l'Internet au grand public grâce à la convivialité qu'offre le logiciel. Elle le distribue gratuitement sous le nom de NCSA Mosaic. En 1994, Jim Clark, l'un des dirigeants de Silicon Graphics, décide de racheter Mosaic et développe à partir de ce logiciel une interface performante et évolutive, capable d'être utilisée par le grand public, qui s'appelle Netscape. Netscape est lancé à la fin de l'année 1994 et est distribué gratuitement sur le Web, comme l'avait été Mosaic. Très vite ce logiciel est adopté par de nombreux utilisateurs du Web au point de devenir une norme. Même si la majorité des utilisateurs utilisent désormais son concurrent Microsoft Internet Explorer, le navigateur de Netscape a occupé sa place de leader pendant longtemps.

À fin 1994, on recensait 10 millions d'utilisateurs du Web à travers le monde. Aujourd'hui ils seraient près de 300 millions.

C'est donc bien le Web qui a permis l'accès du grand public à l'Internet. Celui-ci s'est développé depuis 30 ans dans le cadre de communautés scientifiques dont les objectifs étaient très éloignés des préoccupations économiques ou commerciales. Lorsqu'avec le Web et les premiers logiciels de navigation des personnes étrangères au monde scientifique ont commencé à se connecter au " réseau des réseaux ", son contenu et son mode de fonctionnement ont été profondément transformés. Chercheurs et étudiants qui utilisent les premiers le réseau vont le rendre plus ludique et plus attractif pour le grand public en créant leurs propres sites ainsi que les premiers moteurs de recherche et annuaire tels Altavista ou Yahoo!. Lancé officiellement en mars 1995 par deux étudiants de Stanford, Jerri Yang et David Filo, Yahoo! référence à l'origine les sites préférés des deux fondateurs. Ce sont eux qui fondent également la netiquette, charte éthique du comportement des internautes, sorte de code de bonne conduite, toujours en vigueur aujourd'hui.

Toutes ces innovations nées des premiers internautes (annuaires de recherche, navigateurs, etc.) rendent de plus en plus convivial l'accès au réseau. Elles favorisent l'accès des particuliers au Web et attirent de nouveaux entrepreneurs sur l'Internet qui, à leur tour, participent à la croissance du réseau en fondant leurs pages personnelles ou leurs serveurs marchands. L'Internet entame ainsi une sorte de seconde carrière où le business prend une place de plus en plus importante. C'est aujourd'hui un des éléments essentiels du réseau, qui le fait vivre en grande partie depuis qu'il n'est plus uniquement utilisé par la communauté scientifique.

L'Internet et le Web, à l'image de nombreuses innovations, ont été adoptés successivement par différentes populations, des précurseurs jusqu'au grand public. Dans le cas de l'Internet, les précurseurs (" forerunners ") ont été les militaires et les scientifiques, les innovateurs (" early adopters ") ont principalement été des étudiants et des professionnels de l'informatique. Aujourd'hui l'Internet est arrivé au stade de la diffusion " grand public ". Cette étape est loin d'être achevée car les utilisateurs de ce média sont encore dans leur grande majorité des membres d'une certaine " élite " socioprofessionnelle et culturelle.

Le développement de l'informatique domestique a favorisé l'accès à l'informatique et au Web. La baisse des prix des ordinateurs et des modems est encore aujourd'hui un moteur à la multiplication des connexions à l'Internet. La libéralisation progressive du domaine des télécommunications, aux États-Unis puis en Europe a permis à l'Internet de se développer en dehors des circuits restreints dans lesquels il avait été créé puis exploité. Aux États-Unis les appels téléphoniques locaux (sur la base desquels les connexions sont facturées) sont quasi-gratuits, sinon gratuits. La multiplication de nouveaux services en ligne gratuits (journaux, information, logiciels...) a fini d'attirer le grand public.

Bientôt un second souffle ?

Plusieurs axes semblent se dessiner pour les futurs développements du " réseau des réseaux ". Depuis quelques années déjà, les universités américaines sont à l'initiative de l'Internet II. Ce nouveau réseau, reprenant les principes de fonctionnement du premier, apporte notamment de nouvelles architectures et des protocoles optimisés. Ceux-ci permettent aux utilisateurs d'accéder au réseau dans de meilleures conditions que celles dont ils bénéficient actuellement.

Revanche du sort, il semble que sur certains développements, l'Europe soit en avance. C'est le cas pour le WAP (Wireless Application Protocol) qui permet d'avoir des applications à distance sur des terminaux sans fils comme les téléphones portables. Du fait de sa plus rapide normalisation des réseaux de télécommunications sans fil, l'Europe domine le jeu international tant sur le développement du WAP que sur la mise en place de ses applications.

Les autres nouveautés s'intègrent dans ce qu'on appelle désormais la convergence des media. Selon un nombre croissants d'experts, le développement d'un réseau mondial, Internet ou autre, passe par la multiplication et la simplification des terminaux de consultation. On imagine alors de nouveaux terminaux présentant de nouvelles fonctions : des boîtiers de connexion directe sur la télévision ou des réfrigérateurs capables de commander directement via le réseau mondial, ce qui leur manque. On imagine facilement des applications pour le domicile (domotique) ou pour la voiture (guidage par satellite). Les essais récents (par exemple la Dreamcast de Sega qui permet de lire ou d'écrire ses e-mail sur la télévision) n'ont pas réussi à convaincre le public. Cependant, l'ensemble des efforts de recherche développement des grands groupes d'informatique et de télécommunications continue d'aller dans ce sens.

Les 30 dernières années ont été marquées par des avancées technologiques permanentes dans les domaines de la numérisation et du traitement de l'information. Conjointement la période a connu d'immenses progrès dans la communication via les réseaux. C'est la conjoncture des progrès effectués pendant ces années dans les domaines de la numérisation, du traitement et du transport de l'information qui ont permis à l'Internet de conquérir le grand public. Si l'invention de l'Internet a plus de 30 ans, l'innovation qu'elle désigne aujourd'hui n'a que quelques années.

Le réseau Internet ne peut pas être appréhendé en tant que fin en soi. Il s'agit plutôt d'analyser son succès comme participant d'une Révolution Industrielle entamée il y a une quarantaine d'années avec l'invention du transistor et de l'électronique, et menant progressivement les économies industrielles vers des économies de l'information. Comme il a été observé sur les précédentes Révolutions Industrielles, nées d'innovations successives, les mécanismes économiques existants sont nécessairement affectés par ces mouvements.






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